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Par Gérard Fratianni | Revue Adventiste, septembre-décembre 2022

IV. LES GUERRES DE DIEU ET DES HOMMES :

A. Il y a quelques cas rares, selon J. Doukhan, qu’on ne peut passer sous silence, où Israël devient « le marteau de Dieu », pour vouer à la destruction, Philistins, Amalécites et Cananéens, etc. La grâce semble être épuisée, comme au temps du déluge, du Pharaon d’Égypte ou de Sodome et Gomorrhe. G. Stéveny pouvait dire : ils sont « en rupture avec la grâce, ils ont atteint le point de non-retour ». (30)

Dieu dit à Saül : « Va maintenant et frappe Amalek et dévoue par interdit tout ce qui lui appartient… » (31) Je vous fais grâce de la suite du texte, tant il heurte notre sensibilité. C’est cela qui fait problème. Nous comprenons, grosso modo, les 3 premières catégories de guerres :

• La guerre des hommes sans Dieu

• La guerre de Dieu sans l’homme

• La guerre de Dieu comme opération chirurgicale, jugement partiel. C’est Dieu qui fait cette « œuvre étrange » (32) et il en connaît les raisons profondes. Qui sommes-nous pour juger ses actes ? Mais, un Dieu qui se sert des hommes pour faire mourir d’autres hommes, aujourd’hui ça sent le Jihad, le génocide. On entend le cri des croisés : « Dieu le veut », ou celui des centurions allemands : « Gott mit uns ». On voit le Président Bush prier avec ses Ministres, avant de déclencher l’enfer sur Bagdad. Dieu est pris en otage. « Je ne puis croire que les guerres étaient voulues en droit par le créateur de tous les hommes ». (33)

Mais essayons tout de même de comprendre ce 4e cas de figure. A la mort d’Abraham, le péché des Cananéens était grand, mais n’avait pas encore atteint la démesure. La grâce était encore agissante. « Toi, tu iras en paix vers tes pères, tu seras enterré après une heureuse vieillesse. A la 4e génération, Israël reviendra ici, car, aujourd’hui, l’iniquité des Amoréens n’a pas encore atteint son comble ». (34) Un temps de grâce de quelques siècles leur est accordé. Lors des fouilles en Phénicie, à Ras Shamra, l’ancienne Ugarit, comme dans d’autres sites, les archéologues ont trouvé des témoignages hallucinants sur les coutumes et la morale cananéenne, qui ont fait frémir ceux qui conduisaient les fouilles. Les vestiges dataient, semble-t-il, du temps de Josué :

• pratiques sexuelles indescriptibles, associées au culte de leurs divinités

• sacrifices sanglants des enfants

« Il est impossible à un peuple de descendre plus bas dans l’abjection et la perversité ». (35)

Dieu explique à Abraham, la raison pour laquelle un jour Dieu devra frapper énergiquement et radicalement les Cananéens, au temps de Josué. Leurs mœurs étaient si corrompues que le pays lui-même les rejetait. « Prenez garde que le pays ne vous vomisse, si vous le souillez, comme il aura vomi les nations qui étaient avant vous ». « C’est à cause de la méchanceté de ces nations que l’Éternel, ton Dieu, les chasse devant toi ». (36) Le mal, comme un boomerang, rejoint ceux qui transgressent les principes de vie. Cette violence divine ne vise pas les hommes, mais le mal qui les habite et qui détruit l’image de Dieu en l’homme. Dieu ne peut frapper le mal sans toucher l’homme, car il fait corps avec lui. Cela ressemble à l’amouretàlarigueurquemanifeste Rivière, ‘cet admirable figure de chef ’, (André Gide), envers ses hommes. Dans l’un de ses livres, Saint –Exupéry écrit: « Tous ces hommes, je les aime, mais ce n’est pas eux que je combats. C’est ce qui passe par eux… cette puissance obscure que l’on ne touche jamais, si l’on ne touche pas les gens ». (37)

Quand sur la terre il n’y aura plus assez de justice, de foi, de compassion et d’amour pour permettre à la vie de continuer, alors, ce cas de figure se produira. Si le méchant rejette l’offre du salut, Dieu sera obligé de le neutraliser, par amour de ses enfants. Couper une jambe, disais-je, pour nous c’est une aberration, mais pour le chirurgien c’est un acte de charité envers le malade. Le Déluge, la destruction de Sodome et Gomorrhe et des Cananéens, voire, le Jugement Dernier, au Retour de Jésus, sont autant d’actes d’amour envers sa création. On a l’impression que Dieu fait œuvre de destruction, mais en réalité, il restaure sa création.

Il est vrai que le Déluge et la destruction de Sodome et Gomorrhe par Dieu lui-même passent mieux que l’anéantissement des Cananéens réalisé par Israël. Cela me choque mais cette violence est dans la Bible. Nous n’avons pas à l’excuser, ni à la dissimuler, puisque Jésus lui- même ne l’a pas contestée, effacée ou niée. Si elle est là, c’est qu’elle a quelque chose à nous dire. Quels enseignements y trouvons-nous ? Voici ce que j’ai compris à ce jour :

1. DIEU DEMEURE INCOMPREHENSIBLE :

Il nous faut tout d’abord abandonner l’idée d’un Dieu, « politiquement correct », un « petit dieu » apprivoisé et raisonnable. Le Dieu de la Bible nous échappera toujours et restera souvent obscur et souverain dans ses agissements. « Les deux Testaments insistent sur la liberté d’un Dieu insaisissable ‘qui fait miséricorde à qui il fait miséricorde et qui prend pitié de qui il veut prendre pitié’…, en nous rappelant constamment que le Dieu biblique ne saurait être réduit au « bon Dieu…, il n’a pas fini de nous étonner et de remettre en question des discours théologiques trop bien rôdés… Il échappe à la mainmise de l’homme… » (38) Soyons humbles et acceptons de ne pas tout comprendre. Voici 3 textes, parmi tant d’autres, qui soulignent nos limites à la compréhension de Dieu : « Tes jugements sont comme le grand abîme ». « Prétends-tu sonder les pensées de Dieu ? Parvenir à la connaissance parfaite du Tout-Puissant ? Elle est aussi haute que les cieux, plus profonde que le séjour des morts, plus longue que la terre, plus large que la mer ». « Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles ! Car qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? » (39)

2.DIEUESTINNOCENTDE TOUT MAL :

Thomas Römer se pose la question de savoir « si la cruauté de Dieu ne serait pas simplement le résultat d’un transfert de la cruauté des hommes sur Dieu ». (40) Georges Stéveny pose la même question au sujet de ces soi-disantes « guerres saintes ». « Sont-elles voulues par « Dieu ou par les hommes et mises au compte de Dieu ? ». (41) Et Jacques Doukhan de conclure : « La guerre des hommes sans Dieu devient la guerre des hommes avec Dieu ». (42) Pour éliminer le malaise, certains théologiens libéraux doutent de l’historicité de ces guerres d’extermination. Si elles ne sont que des légendes, des mythes, juste pour exalter la grandeur des héros, il n’y a plus de problème. Le scandale existe seulement si nous partons du principe que ces guerres sont historiques, réelles. Quant à nous, nous préférons garder le « scandale » de la violence pour ne pas mettre en doute l’inspiration des récits.

3. JUGEMENTS ET GUERRES PREFIGURATIFS :

Pour rendre les jugements immédiats de Dieu dans la Bible, plus « intelligibles », en attendant d’autres lumières, certains théologiens (J. Doukhan, G. Steveny, P. Beauchamp, Denise Vasse etc.) ont considéré ces interventions radicales de Dieu, comme des exemples, des types du jugement à venir, du Jour de l’Éternel. Le châtiment devient alors pré-figuratif, prophétique, dont le sens dépasse l’événement immédiat. « Jésus a rappelé le déluge et l’anéantissement par le feu de Sodome et Gomorrhe comme types du jugement dernier » (43)
Pour être plus précis, nous interprétons :

– Le pays de Canaan, comme une préfiguration de la Canaan céleste, une ombre des choses à venir, le Royaume des Cieux.

– Le Sanctuaire comme représentation de la présence de Dieu, une illustration de « comment Dieu résout le problème du péché et réalise la restauration de toutes choses »

– Les sacrifices d’animaux, préfigurations du vrai sacrifice du Christ, étaient donc, l’ombre des choses à venir.

– Les Cananéens rebelles incarnaient les forces du mal.

– L’extermination radicale de ces peuplades, l’ombre des choses à venir, pourrait préfigurer le Jugement Universel, (voir la parabole de l’Ivraie et du bon grain). Ces jugements punitifs, où il ne fallait laisser « ni racines ni rameaux », annonçaient le jour où le mal serait totalement éradiqué, victime de sa propre violence, car le mal porte en lui le germe de son autodestruction. Amputation définitive du mal par le Grand Chirurgien Divin. Il ne fallait laisser, donc, aucune racine, autrement le mal aurait repris de plus belle. « Tu ne traiteras point d’alliance avec les Cananéens, tunecontracteraspointdemariages avec ces peuples …, de peur qu’ils ne détournent de moi tes enfants ». « Tu dévoueras ces peuples par interdit, depeurqu’ilsnevousapprennentà imiter toutes les abominations qu’ils font pour leurs dieux et que vous ne péchiez contre l’Éternel ». « Veillez à ce qu’aucune racine d’amertume, poussant des rejetons, ne produise du trouble, et que plusieurs n’en
soient infectés ». « Un peu de levure fait lever toute la pâte ». (44) Le mal menace sans cesse. Si on y laisse des rejetons, bien vite nos vies en sont à nouveau envahies. « Ces jugements divins sont semblables à ceux qui provoquèrent la destruction du monde antédiluvien ou des villes de Sodome et Gomorrhe ». (45) Jugements partiels, annonciateurs du Jugement absolu et définitif où même la violence des violences que sont la « mort et le séjour des morts », serontanéantis.Encejour,«violence serafaiteàlaviolence».(46)

REFERENCES BIBLIQUES ET BIBLIOGRAPHIE

30. Georges Steveny, La non-violence de Dieu et des Hommes, Dammarie-les-Lys, 2001, p. 151
31. 1 Sam. 15. 2, 3 ; Nom. 31, 1-18 ; Deut. 20. 16-18 32. Es. 28.21
33. G. Steveny, op. cité, p. 141
34. Gen. 15. 16,
35. William Guiton, Le cri des pierres, Ed. Le bon semeur, Paris, 1939
36. Jér. 2. 19 : Lév. 18. 27, 28 ; Deut. 9. 5 ; La violence de Dieu «vise non pas l’homme, mais le mal qui le traverse ». Patrice Alcidor, Bible et Violence, cœur net de chrétiens de Grenoble, 28 mai 2003.
37. Saint-Exupéry, Vol de Nuit, Livre de poche, Gallimard, Paris, 1931, pp. 8, 81
38. Thomas Römer, Dieu obscur, Labor et Fides, Genève, 1998, pp.131. 132, 28
39. Ps. 36. 7 ; Job 11. 7-11 ; Rom. 11. 33-34,
40. Thomas Römer, op.. cité, p. 76
41. Georges Steveny, Revue Adventiste, févr. 02.
42. J. Doukhan, conférence sur les Guerres dans la Bible, à l’église de la Lignière à Gland (Suisse), dans les années 90
43. G. Steveny, op. cité, p. 130 ; Luc 17, 26-30 44.Deut.7.1-5;Deut.20.16-18;Héb.12.15,16;1Cor.5. 6, 7 ; Mal. 4. 1-3
45. Moniteur, EDS) 1er trim., 1980, p. 26 ;
46. 1 Co. 15. 54-56 ; Ap. 20. 14-15 ; Patrice Alcidor, op.cité

Autres ouvrages utiles :

• Barna Magyarosi, Holy War and Cosmic Conflit in the Old Testament. From the Exodus to the Exile. 2010, 329 p.

• Jacques Ellul, « Contre les violents » Ed.Le Centurion, Fév 1972

• Missiology : An International Review, Vol. XX. No. 1, January 1992. Dianne Bergant, CSA : Focus on War in the OT. Violence and God : A Bible Study.


Gérard Fratianni Pasteur à la retraite