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Par Dick Duerksen | Adventist World, avril 2023

C’est impossible – tout aussi impossible que de reconstituer un puzzle avec des pièces provenant d’une dizaine de boîtes différentes. Nous sommes sur le point d’abandonner, de renoncer à nos objectifs, de faire nos valises et de rentrer chez nous.

Nous avons loué un chalet au sommet des montagnes Rocheuses et nous nous y sommes installés tous les quatre – confiants que nous arriverions à concevoir un plan de marketing que 12 universités pourraient utiliser dans le cadre d’un recrutement « équitable » des élèves du secondaire. Nous avons été choisis par nos confrères – des dirigeants avisés qui croient que nous avons le pouvoir d’accomplir un petit miracle ! Mais, après plusieurs jours et des dizaines de grandes idées, nos poubelles débordent de solutions froissées. Rien ne marche.

« On a besoin d’une parole du Seigneur », soupire l’un d’entre nous.

« Écoutez les gars, qu’est-ce que David faisait quand il était au pied du mur ? Il écrivait un psaume, non ? »

Vendredi soir. Là, sous le porche, nous contemplons le magnifique coucher de soleil et lisons les psaumes du roi.

« Eh, Dick, t’as vécu dans les montagnes, toi ! » me dit soudain l’un de mes collègues en me pointant du doigt. « Quand il fera jour, amène-nous dans un endroit où nous pourrons entendre la voix de Dieu. »

Je souris. « Pas de problème, je connais l’endroit idéal ! »

Le sabbat est un jour de repos. Un temps pour mettre de côté le travail et célébrer le don de la grâce. Un temps parfait pour écouter la voix de Dieu.

Après avoir préparé un pique-nique composé de pommes et de sandwichs au beurre d’arachide et à la gelée, nous prenons une douzaine de bouteilles d’eau, montons dans la voiture, et nous enfonçons dans les Rocheuses.

Chemin faisant, je gratifie mes collègues de quelques infos sur l’endroit.

« Le Mont Evans est l’un des 58 sommets du Colorado qui font plus de 4 267 mètres de haut. Celui-ci fait 4 347 mètres, et il y a une route qui serpente presque jusqu’au sommet. »

Nous roulons donc jusqu’au bout de la route, empruntant des tas de virages “trop serrés” au-delà des foules du lac Echo, au-dessus d’une forêt d’arbres rabougris, et le long de blocs de granit disposés comme des os de dinosaures au repos. À notre passage, des bêtes de montagne – pikas et marmottes – sifflent des avertissements. Partout, la montagne offre, sur des milliers de kilomètres, une vue à couper le souffle. Nous nous arrêtons souvent et parlons doucement, avec révérence. Entre chaque arrêt, Serge lit le psaume 98 à haute voix.

« Que les fleuves battent des mains, Que toutes les montagnes poussent des cris de joie, Devant l’Éternel ! »

Juste en dessous de 3 962 mètres, le lac Summit nourrit des familles de fleurs sauvages dans une vaste zone de toundra arctique. Nous nous garons dans le parking, enfilons des vestes, mettons des bonnets et des gants épais. Ensuite, nous empruntons le sentier rocailleux qui longe le lac jusqu’à un endroit où j’ai souvent vu des chèvres blanches sauvages. C’est un endroit dangereux de la montagne : des blocs de granit géants et des plaques d’herbe verte avoisinent une chute d’eau de 609 mètres se déversant dans un sombre canyon.

Alors que nous nous installons à côté de quelques gros rochers, mes collègues, peu habitués à l’altitude et à l’exercice, respirent en sifflant, tâchant de reprendre leur souffle.

« Rappelle-moi pourquoi nous sommes là-haut », me lance l’un d’eux d’un air accusateur.

« Eh bien, simplement parce que tu voulais être dans un endroit où nous pourrions entendre la voix de Dieu et recevoir une parole du Seigneur ! »

Petit à petit, notre respiration redevient à peu près normale. Nous pouvons enfin profiter de la vue. C’est alors qu’une grande chèvre de montagne choisit de faire une entrée majestueuse avec ses deux chevreaux. Elle sait que nous sommes là, mais ça ne la dérange pas le moins du monde. Elle nous contourne sans crainte, guidant ses deux petits vers un terrain herbeux à côté de nos rochers. Bien qu’ils nous aient remarqués, ils suivent l’exemple de Maman : ils nous ignorent tandis qu’ils mangent des fleurs rouge vif en guise de dessert.

C’est Serge qui parle le premier. « Je n’ai jamais été aussi près d’un animal sauvage ! »

« Moi non plus », répondent les autres.

« Est-ce qu’on est en sécurité ici ? » dit l’un. « Est-ce qu’on peut parler ? » dit un autre. « Est-ce qu’elles vont nous mordre ? » lance un troisième. Puis tout redevient silencieux, à l’exception des bruits de mastication des chèvres de montagne.

« Gloire à Dieu notre créateur… »

Qui a commencé à chanter ça ? C’est la doxologie, tout droit sortie du recueil de cantiques. Dans le ton juste, ou à peu près. Nous joignons nos voix à la sienne, si bien que son solo se transforme rapidement en quatuor, en imitation – version montagne ! – des King’s Heralds.

Surprises, les chèvres cessent de mastiquer, nous regardent, et inclinent la tête – comme si elles essayaient de comprendre les paroles.

Nous enchaînons avec « Grâce étonnante », puis « J’entends ta douce voix », puis « Dans le jardin », et ensuite, avec tous les cantiques et les chœurs que nous chantons à l’École du sabbat, au service de culte, et au culte familial. Nous chantons à voix mixtes – ténor, basse, baryton, la mélodie, et d’autres notes improvisées. J’ai vraiment l’impression que ça sonne mal, mais les chèvres, elles, raffolent de notre prestation ! Maman secoue la tête et dit à ses enfants d’écouter attentivement. Ceux-ci font la sourde oreille et jouent à chat
autour des rochers – jusqu’à ce que nous ayons épuisé notre répertoire.

C’est Serge, il me semble, qui abandonne le premier. « J’ai chanté tous les cantiques que je connais ! »

Nos voix se taisent. Les deux petits accourent en bondissant vers leur mère, s’allongent et nous regardent avec attention – comme s’ils se demandaient quel serait notre prochain numéro. Maman les ignore et se contente de nous regarder. Finalement, elle s’adresse à nous.

« Merci d’être venus dans notre cathédrale à flanc de montagne et d’avoir chanté de si beaux chants pour nous. »

Elle n’a pas dit ça avec des mots, bien évidemment. C’est plutôt son regard, la façon dont ses oreilles frémissent, et les tons dans lesquels elle chevrote qui rendent sa voix presque humaine. « J’ai vraiment apprécié vos chants ! C’est vraiment gentil d’être venus. En plus, vous avez été gentils avec mes enfants. Je suis heureuse de ce que le Créateur nous ait réunis pour ce moment de culte. »

Nous la remercions pour sa gentillesse, son écoute et son acceptation – même si nous avons chanté quelques fausses notes.

Elle rit – du moins c’est l’impression qu’on a – alors qu’elle se lève, appelle ses petits, et entame la descente de la falaise surplombant le canyon.

Soudain, elle s’arrête, flanquée de ses deux rejetons, et nous parle clairement. « Bêê-ê, mbéé-é, mbéé-é, bêê-ê, bêê-ê ! »

L’instant d’après, le trio s’en va.

Et nous, nous restons assis là, en silence, pendant un long moment. « Souvenez-vous du psaume 98, chuchote l’un de nous. Les montagnes chantent, les fleuves battent des mains, et (peut-être) même, les chèvres de montagne chantent des louanges à Dieu ! Si le berger roi avait été ici aujourd’hui, il aurait ajouté au texte de son psaume une ligne sur les chèvres de montagne qui chantent des louanges à Dieu. »

De retour au chalet, il ne nous faut qu’environ 30 minutes pour rédiger le plan parfait.


Dick Duerksen, pasteur et conteur, habite à Portland, en Oregon, aux États-Unis.