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Par Dick Duerksen | Adventist World, janvier 2023

S’il pleut, je ne pourrai pas atterrir. La pluie rendrait la piste d’atterrissage en terre battue tellement glissante que l’avion glisserait dès qu’il toucherait le sol. Priez ! Peut-être que Dieu retiendra la pluie quelques jours de plus. »

En fait, la pluie n’était pas le pire de leurs problèmes. À cette époque – c’était en 1989 – le Pérou était devenu un endroit dangereux pour diriger une clinique et une école missionnaires. Si quelqu’un apportait son aide dans le domaine de l’éducation, des soins de santé, de l’agriculture, ou de toute autre activité de « bonté », les terroristes promettaient de le tuer. Sur-le-champ !

« Jour après jour, ça nous inquiétait, raconte Patti. Sachant que nous pourrions être obligés de fuir à tout moment, nous avions mis nos passeports et nos Bibles dans une petite valise. »

Près de sept ans s’étaient écoulés depuis que Dale et Patti Duerksen avaient ouvert une petite clinique le long de la rivière Pachitea, en aval de la petite ville de Puerto Inca, dans le bassin amazonien du Pérou. Ravis d’avoir enfin de bons soins de santé de première ligne, les habitants avaient accueilli ces missionnaires à bras ouverts. En peu de temps, la clinique avait ajouté d’une école, laquelle s’était rapidement remplie d’élèves enthousiastes.

« Notre centre missionnaire se développait comme nous l’avions espéré », se souvient Patti.

Patients et étudiants affluaient chaque jour. Certains marchaient des kilomètres sur des sentiers de la jungle. D’autres ramaient sur la rivière à bord de bateaux que leurs parents avaient construits. Tous étaient avides d’apprendre, de trouver un baume pour leurs muscles endoloris, de parler avec Dale ou Patti de la santé de leurs enfants, ou simplement de jouer dans le champ derrière la nouvelle école.

« Nous n’avions pas grand-chose, mais nous offrions à ces gens tout ce que nous pouvions », raconte Dale.

Ce qui avait inspiré Dale et Patti, c’était l’histoire de George Müller et d’Hudson Taylor, lesquels se sont sacrifiés pour que les habitants de pays lointains puissent découvrir la bonne nouvelle de l’Évangile. Ayant déjà servi en Bolivie et à Porto Rico, Dale et Patti sentaient maintenant que Dieu les appelait à nouveau dans un champ missionnaire. Mais où, quand et comment leur rêve pourrait-il se réaliser ? Ils n’en savaient rien – enfin, jusqu’à ce qu’ils découvrent les besoins des habitants de la jungle le long de la rivière Pachitea. Dès lors, ils ont su que c’était là qu’il fallait aller. Leur appel avait désormais un nom, une rivière, et des centaines de personnes qui seraient enchantées d’avoir une clinique et une école dans leur région.

« Nous étions à une heure de bateau de l’endroit où nous pouvions trouver des fournitures de base, et à une bonne journée de voyage jusqu’à Pucallpa, où nous pouvions acheter des médicaments, raconte Patti. Toutes les trois semaines, nous nous y rendions, surtout pour acheter les médicaments qu’il me fallait pour la clinique. Ces médicaments coûtaient environ 1 000 dollars par mois. Nous dépendions totalement du Seigneur pour nous les procurer. Cela nous a beaucoup appris sur le plan de la foi. D’une manière ou d’une autre, il y a toujours eu juste assez d’argent à la banque pour que je puisse acheter les médicaments pour mes patients. »

L’école grandissait. La clinique prospérait. Et le jardin fournissait des légumes frais. Un jour, la politique du Pérou a commencé à se dégrader. Les livres d’histoire décrivent un conflit autour des profits du commerce de la cocaïne, mêlé à une soif de pouvoir et à un groupe de terroristes déterminés à déstabiliser le pays. Très vite, les terroristes ont gagné. Ils ont décidé que toute personne faisant preuve de « bonté » envers le peuple devrait quitter le pays, ou mourir.

Cette menace incluait évidemment Dale et Patti – la clinique, l’école et l’église que Dieu faisait prospérer dans la région.

De l’autre côté de la jungle, dans la ville de Pucallpa, l’Église adventiste avait mis sur pied un programme d’aviation pour la mission. L’avion de l’Église transportait les pasteurs, les professeurs et les fournitures depuis la ville vers les villages de la jungle. En 1987, l’Église a demandé à Bill Norton de s’installer à Pucallpa en tant que pilote et mécanicien. Enthousiasmés par les possibilités d’exercer leur ministère dans la jungle, Bill et Bonnie se sont chargés du transport aérien. Bonnie était d’autant plus enthousiaste que l’avion missionnaire lui permettrait de visiter ses parents, Dale et Patti, en seulement 45 minutes de vol dans la jungle.

« Ils étaient dans une petite niche au bord de la rivière, se souvient Bonnie. Nous leur rendions visite à la clinique, et ils nous rendaient visite à Pucallpa. Mais, depuis que les terroristes avaient pris le pouvoir, tous les déplacements étaient devenus beaucoup plus dangereux. Nous nous parlions principalement par radio. »

Bill a continué de transporter les pasteurs aux villages de la jungle et en dehors, s’absentant souvent de chez lui pendant une semaine ou plus, veillant à atterrir là où il serait à l’abri des attaques. Quand il volait non loin de Dale et Patti, il parachutait leur courrier dans leur jardin.

« Ce travail était l’aboutissement de tous nos préparatifs pour servir Dieu, dit Bill. Mais nous nous sommes rapidement retrouvés dans un monde sans loi ni droit, où les terroristes menaçaient directement la police, les gens du gouvernement, et tous les missionnaires. »

Bill a dit à Dale qu’ils devaient trouver une piste d’atterrissage près de leur clinique. C’était un défi, car il n’y avait pas d’espace libre du côté de la rivière où l’école se trouvait. Par contre, Bill a repéré un pâturage de l’autre côté de la rivière, lequel pourrait convenir.

Après avoir reçu la permission du rancher, les élèves de l’école ont commencé à dégager des pierres, à couper des souches, et à chasser le bétail pour aménager une piste d’atterrissage passable, et juste assez longue pour l’avion missionnaire. Dès que la piste a été dégagée aux trois quarts, Bill s’est envolé.

« J’ai fait quelques voyages avec une charge réduite, puis j’ai dit aux gens qu’il serait trop dangereux d’en faire davantage. Je les ai avertis de faire leur valise et d’être prêts à partir une heure à l’avance. Puis nous avons tous prié pour que Dieu retienne la pluie. »

À la saison des pluies, des averses torrentielles se déversent sur la jungle péruvienne. Dire que les pluies avaient déjà quelques semaines de retard ! D’un jour à l’autre, la piste d’atterrissage soigneusement dégagée se transformerait en un bourbier d’argile. Atterrir et décoller deviendrait alors impossible.

Chaque fois qu’il atterrissait à sa base aérienne, Bill mettait juste assez de carburant dans le Cessna 185 pour un aller-retour à la clinique. Il était prêt à transporter deux passagers et une petite valise.

Un dimanche matin, trois terroristes se sont pointés à la clinique. Ils marchaient lentement. Ils posaient des questions difficiles et voulaient connaître la vie de Dale et Patti en détail. Finalement, ils ont quitté les lieux.

Le lendemain matin, Dale a appelé Bill à la radio et l’a mis au courant de cette visite indésirable. « Entendu, a répondu Bill. Je serai là dans 45 minutes. Juste une valise, O. K. ? »

« Ce jour-là, j’ai volé à 15 mètres au-dessus des arbres, dit Bill en riant.

Je ne voulais surtout pas annoncer mon arrivée ! En fait, j’ai volé derrière quelques collines, puis je me suis pointé quand j’étais près de la piste d’atterrissage. Patti et Dale avaient traversé la rivière dans le petit bateau de la clinique et se tenaient là, sans bouger, sur l’herbe. Leur immobilité était le signal que je pouvais atterrir en toute sécurité. »

Dale et Patti sont montés à bord. Au décollage, ils n’ont pu retenir leurs larmes.

Sept ans sur la rivière Pachitea. Des milliers de personnes traitées à la clinique. Des dizaines d’enfants à l’école. Des chansons chantées, des sermons prêchés, des familles baptisées, des vies transformées. Là-bas, dans la jungle, tous connaissaient désormais l’amour de Dieu.

Trente minutes plus tard, la pluie s’est mise à tomber.


Dick Duerksen, pasteur et conteur, habite à Portland, en Oregon, aux États-Unis.