Par Denis Kaiser | Adventist World, février 2023
Il y a quelques années, je discutais avec un groupe d’étudiants du thème de l’amour de Dieu dans les écrits d’Ellen White (1827-1915). Un étudiant m’a alors répondu : « J’ai été introduit aux écrits d’Ellen White par un groupe très orienté vers la loi. Comment voulez-vous qu’il me soit facile d’y trouver l’amour de Dieu ? » Selon mon expérience, la plupart des ados et des jeunes adultes ont connu une introduction brutale aux écrits d’Ellen White. On s’en est servi, en effet, comme arbitre de la doctrine pure, juge de la bonne interprétation, règle en matière de mode de vie… Ce n’est que lorsque ces jeunes ont « goûté » par eux-mêmes à ces écrits que leur perception de ceux-ci s’est améliorée. Cela soulève une question incontournable : comment devrions-nous présenter à nos contemporains les écrits de ce personnage historique important, lequel a contribué à la fondation de l’Église adventiste et exerce encore une influence sur la vie de bien des gens aujourd’hui ?
COMMENCER PAR LE COMMENCEMENT
On pourrait se dire : « Ellen White a écrit tant de choses ! Par où dois-je commencer ? » Nombre de ses lecteurs contemporains la connaissaient personnellement, l’avaient rencontrée, ou avaient lu ses fréquents articles dans des périodiques adventistes. En général, ils étaient au courant des motifs fondamentaux et des sujets récurrents traités dans ses conférences et ses écrits, ce qui leur permettait de lire ses livres avec cette connaissance comme toile de fond.
Aujourd’hui, personne ne peut prétendre à l’avantage d’avoir entendu, rencontré ou connu Ellen White personnellement. Sans cette expérience, nous sommes désavantagés dans la compréhension des choses qu’elle a écrites spécifiquement pour les personnes ayant fait une telle expérience. Or, ce sont ces écrits-là qui sont souvent mal compris et mal utilisés.
Bien qu’il nous soit impossible de pouvoir connaître Ellen White personnellement comme le pouvaient ses contemporains, je crois que nous pouvons aborder ses écrits de façon à développer une perspective semblable. Cette « méthode » s’appuie sur le fait que certains de ses écrits ont été rédigés spécifiquement à l’intention d’un public adventiste, tandis que d’autres s’adressaient à un public plus large, aussi bien non adventiste qu’adventiste.
Si cette dernière catégorie d’écrits ne nécessitait aucune connaissance d’Ellen White en tant que personne ou de sa prétention à l’inspiration divine, les publications destinées à un lectorat adventiste pouvaient s’attendre à au moins une compréhension de base de ces points. Commençons donc par les écrits qui ne nécessitent aucune connaissance de base d’Ellen White.
L’AUDITOIRE VISÉ : UN LARGE PUBLIC
Dans cette catégorie, on trouve des écrits sur un certain nombre de sujets, tels que le salut, Jésus, le conflit cosmique, l’éducation, et la santé. Ses idées centrales deviennent particulièrement visibles à mesure que nous progressons, ce qui nous permet de voir comment elles imprègnent tous ses écrits.
Un bon point de départ pour découvrir ses idées les plus importantes est le livre Steps to Christ [Vers Jésus], publié à l’origine en 1892 par l’éditeur évangélique Fleming H. Revell. Rédigé dans une perspective wesleyenne-arminienne, ce petit livre de réveil présente une belle description du caractère de Dieu et fournit des étapes pratiques pour devenir chrétien et le rester. Il explique bon nombre des thèmes clés et les points forts de l’ensemble de son ministère – amour, authenticité, spiritualité, engagement, croissance, joie.
La passion d’Ellen White pour Jésus et les Écritures a été le moteur de son ministère et de ses échanges avec ses semblables. Dans son récit du conflit cosmique, elle se focalise sur Jésus en tant que manifestation ultime de l’amour désintéressé de Dieu et centré sur les autres. The Desire of Ages (1898) [Jésus-Christ], Thoughts from the Mount of Blessing (1896) [Heureux ceux qui], et Christ’s Object Lessons (1900) [Les paraboles de Jésus] traitent de la personne, de la vie, des enseignements et de la mort de Jésus. Les deux derniers livres, lesquels couvrent le Sermon sur la montagne et les paraboles de Jésus, devaient à l’origine faire partie de Jésus-Christ, mais ce livre étant devenu trop volumineux, ils ont été publiés séparément.
Les autres livres d’Ellen White sur le récit du conflit cosmique – Patriarchs and Prophets (1890) [Patriarches et prophètes], Prophets and Kings (1917) [Prophètes et rois], Acts of the Apostles (1911) [Conquérants pacifiques], et The Great Controversy (1888, 1911) [La tragédie des siècles] tournent autour du caractère de l’amour de Dieu. En utilisant les mots « Dieu est amour » comme premiers mots dans Patriarches et prophètes et comme derniers mots dans La tragédie des siècles, elle a fait de ces mots de 1 Jean 4.16 la trame de l’ensemble du récit.
Voici ce sur quoi elle insiste dans son livre Éducation : « L’amour, qui est à l’origine de l’acte créateur et rédempteur, doit être aussi à l’origine de la véritable éducation1. » L’amour désintéressé envers Dieu et les autres est à la base même du service désintéressé et de tout véritable développement. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est le développement harmonieux du corps, de l’esprit et de l’âme. Étant donné que le véritable amour désintéressé n’est possible que par le libre arbitre, la « véritable éducation » vise à « apprendre aux jeunes à penser par eux-mêmes, à ne pas se contenter d’être le miroir de la pensée des autres »2.
Enfin, les mêmes motifs réapparaissent dans Le ministère de la guérison – un manuel pour un ministère désintéressé auprès de ceux qui ont des besoins physiques, émotionnels, et spirituels. Ce type d’aide illustre l’amour de Jésus, et devient une « puissance vivifiante » « qui guérit notre cœur, notre cerveau, nos nerfs »3. L’illustration pratique de l’amour de Dieu devient ainsi un outil important pour atteindre les gens dans le contexte du récit cosmique.
DES ÉCRITS POUR UN PUBLIC LIMITÉ
L’accent mis par Ellen White sur l’amour de Dieu tel qu’il se manifeste en Christ et sur la manière dont cela se traduit dans nos vies individuelles nous prépare à aborder les écrits d’Ellen White destinés à un public adventiste. Puisque ces écrits parlent souvent de situations et de circonstances particulières, il est utile de connaître le contexte dans lequel ils ont été écrits. Le livre Life Sketches (1915) donne un bon aperçu de la vie, de la famille, des expériences, des visions, des voyages, et plus encore, d’Ellen White.
L’ouvrage d’Ellen G. White intitulé Letters & Manuscripts with Annotations, vol. 1, (1845-1859) tente de mettre à disposition son interaction personnelle et ses conseils inspirés avec le contexte historique pour toile de fond. Cela peut aussi expliquer pourquoi W. C. White (1854-1937), son fils, a dit qu’il était nécessaire que les Testimonies for the Church (1855) [Témoignages pour l’Église] soient publiés avec des informations sur le contexte historique4.
Ellen White a publié certains écrits à l’intention de groupes spécifiques de l’Église, lesquels étaient vraisemblablement au courant des principaux objectifs et des points forts de son ministère. Les livres The Southern Work (1898, 1901), Gospel Workers (1892, 1912) [Le ministère évangélique], et Counsels to Parents, Teachers, and Students (1913) [Conseils aux éducateurs, aux parents et aux étudiants] entrent dans cette catégorie. La lecture de ces écrits dans la perspective acquise par la lecture de ses ouvrages pour le grand public s’avérera bénéfique.
Après avoir découvert les principaux points forts des écrits d’Ellen White, après avoir appris à la connaître en tant que personne et compris la nature générale des témoignages, nous sommes mieux préparés à nous tourner vers les compilations posthumes de ses écrits, telles que Counsels on Diet and Foods (1938) [Conseils sur la nutrition et les aliments], Evangelism (1946) [Évangéliser], Temperance (1949) [Tempérance], Adventist Home (1952) [Le foyer chrétien], et bien d’autres encore.
Bon nombre des coupures de presse de la compilation sont des déclarations qu’elle a faites à l’origine pour répondre à des circonstances spécifiques, en gardant toujours à l’esprit son objectif général. S’il lui arrivait parfois de donner des conseils apparemment contradictoires à différentes personnes, elle appliquait néanmoins, en fonction des circonstances et des problèmes, les différents principes bibliques.
La plupart des étudiants qui ont appliqué cette façon d’aborder les écrits d’Ellen White ont témoigné qu’elle a révolutionné leur perception de sa personne, de son ministère, et de ses écrits. Non seulement cela crée une perspective plus équilibrée, mais aussi leur permet d’apprécier le contenu de ces écrits en harmonie avec leur intention et leur but originaux.
1 Ellen G. White, Éducation, p. 18.
2 Ibid., p. 19.
3 Idem., Le ministère de la guérison, p. 90. 4 W. C. White to Guy Dail, 28 août 1929.
Denis Kaiser est professeur adjoint d’histoire de l’Église au Séminaire adventiste de théologie à l’Université Andrews, à Berrien Springs, au Michigan (États-Unis). Cet article a d’abord paru dans le numéro d’octobre 2022 du Lake Union Herald.