Entretien de Flavio Prestes II (FP) et Sergio R. Festa (SF) avec Jacques Doukhan (JD) | Adventist World, février 2023
Le premier volume de la série du nouveau Seventh-day Adventist International Bible Commentary (SDAIBC) a été publié en 2022 en Amérique du Nord. Il porte sur la littérature sapientielle et comprend des commentaires sur les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste, et le Cantique des cantiques. Flavio Prestes II (FP) et Sergio R. Festa (SF), tous deux professeurs à l’Université adventiste de São Paulo, au Brésil, ont eu récemment un entretien avec Jacques Doukhan, rédacteur en chef de la nouvelle série de commentaires et professeur principal de recherche en exégèse hébraïque et d’Ancien Testament à l’Université Andrews, au sujet du projet et de l’importance de la littérature sapientielle en général. — La rédaction
FP : Dr Doukhan, le volume 6 du Seventh-day Adventist International Bible Commentary sur la littérature sapientielle vient juste d’être publié. Comment décririez-vous la sagesse d’un point de vue biblique ?
JD : L’un des épisodes les plus importants de la Bible, où la sagesse est identifiée, c’est celui où Salomon va vers Dieu en étant totalement conscient qu’il manque de sagesse. Par conséquent, il demande qu’elle lui soit octroyée (1 R 3.7-12). C’est là le paradoxe de la sagesse biblique. L’humilité, c’est-à-dire le besoin de sagesse de la part de Dieu, est le point de départ de celle-ci : « La crainte de l’Éternel est le commencement de la sagesse » (Ps 111.10 ; Pr 1.7 ; 9.10 ; Ec 12.13).
SF : En quoi la sagesse exposée dans la Bible coïncide-t-elle avec d’autres littératures antiques du même type, et en quoi diffère-t-elle?
JD : La Bible ne nous est pas parvenue in vitro, autrement dit, en dehors de son environnement culturel. Elle utilise les formes littéraires, la langue et même certains concepts et récits du Proche-Orient ancien (POA). Le livre des Proverbes, par exemple, fait référence à la sagesse d’Agur, fils de Jaké, lequel ne faisait pas partie du peuple de Dieu et ne le connaissait pas (Pr 30.1-3). Et cependant, ses paroles empreintes de discernement ont été retenues dans le canon biblique. Quand on prend le livre de l’Ecclésiaste, sur lequel j’ai écrit le commentaire, je suis frappé par les liens entre l’Ecclésiaste et l’entendement propre à l’Égypte antique. La sagesse n’est pas l’apanage du peuple de Dieu ! Nous tirons la même leçon de Jésus, alors qu’il nous montre que le soldat romain et la femme samaritaine pourraient être plus sages même que l’homme du peuple de Dieu, que l’expert dans les Saintes Écritures, le pharisien, et le docteur de la loi. Ce qui manque dans la littérature du POA, cependant, c’est la présence du vrai Dieu qui dispense la sagesse – du Dieu personnel qui nous guide dans notre vie présente et agit dans l’histoire. Il est aussi le Dieu des prophètes qui se révèle et met en lumière le salut futur de l’humanité.
FP : Quel est le lien entre la sagesse et l’espérance du retour de Jésus ?
JD : La sagesse est liée à l’avenir. Le livre des Proverbes nous donne l’exemple de la fourmi, laquelle fait preuve de sagesse en pensant à l’avenir (Pr 6.6-11). Quelqu’un qui ne se préoccupe que du présent est un insensé dépourvu de sagesse. En réalité, l’avenir par excellence, c’est le retour du Christ ! Malheureusement, les chrétiens ont bien souvent négligé et même éliminé la référence à l’avenir. Mais si on ne vit qu’au présent, on n’est plus en contact avec Dieu, lequel est le Dieu de l’avenir, le Dieu qui viendra. Le Cantique des cantiques parle du Dieu qui frappe à la porte et promet de nous sauver. Si on supprime le Dieu qui viendra, il n’y a plus de sagesse. Comme l’apôtre Paul l’a dit, si on enlève la croyance, la foi en la résurrection, la foi en la venue de Jésus, la vie n’a aucun sens (voir 1 Co 15.19). Ainsi, l’avenir est une composante très importante de la sagesse.
Mais il y a aussi un sérieux problème psychologique et théologique avec les personnes qui se focalisent uniquement sur les prophéties apocalyptiques et ne se préoccupent que des événements futurs. Cette erreur se retrouve dans toutes les religions. Dans notre petit cercle, les gens qui ont ce genre de mentalité ne lisent que le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse, et le livre de Daniel. Ils négligent les livres de la sagesse. En conséquence, ces personnes ne parviennent pas à embrasser la réalité de la vie quotidienne : souvent, elles ne profitent pas du don de la création de Dieu, et parfois, elles ne prêtent pas attention à leur prochain.
La révélation apocalyptique de l’avenir et les principes de sagesse dans la vie présente sont les deux perspectives nécessaires. En fait, la Bible réunit les deux. Le livre de Daniel est à la fois un livre de sagesse et un livre apocalyptique. Daniel est un homme sage (Dn 1.4,20) qui entre- tient de bonnes relations avec les autres (Dn 1.9). Mais il est aussi un prophète qui fait référence à l’avenir, à « ce qui arrivera » (Dn 2.29).
FP : En quoi ces concepts dont vous parlez – la sagesse et l’Apocalypse – sont-ils liés à notre identité adventiste du septième jour ?
JD : Je pense que ce lien entre les deux perspectives est très présent dans notre théologie ; c’est en fait ce qui fait notre identité, comme en témoigne notre nom « adventiste du septième jour ». La partie « septième jour » se réfère au début de l’histoire humaine et nous relie à la sagesse qui concerne la réalité actuelle de la vie, la création dans son aspect concret, et notre relation les uns avec les autres en tant qu’êtres humains. Et la partie « adventiste » se réfère à la fin de l’histoire humaine, nous relie au salut futur du monde, et nous fait rêver et espérer en ce qui concerne le royaume des cieux. La vérité biblique traite des deux perspectives. C’est notre défi, notre destinée, et notre mission dans le monde.
SF : Comment la sagesse peut-elle avoir un impact sur nos efforts d’évangélisation et sur notre dialogue avec ceux qui nous entourent au quotidien ?
JD : Il nous faut une abondance de dis- cernement pour communiquer notre message spécial. Malheureusement, ce beau et puissant message a souvent été communiqué de façon peu sage, et du coup, a été mal compris, méprisé, et rejeté par bien des gens intelligents. Nous avons, hélas, souvent témoigné de la vérité profonde et complexe de la sagesse biblique à partir d’une lecture superficielle du texte biblique. Ou bien alors, nous avons partagé cet enten- dement particulier sans essayer de comprendre les autres, sans être d’un quelconque intérêt pour eux. Nous devons apprendre à nous identifier aux autres, tout comme l’apôtre Paul l’a fait (voir Ac 17.23 ; voir 1 Co 9.19- 23). La sagesse, c’est la capacité d’être en contact avec le monde, de savoir comment le monde pense, de faire partie du monde (Jn 17.15) sans tou- tefois y appartenir (Jn 18.36). Daniel, Jean, Jésus et les pionniers adventistes ont donné l’exemple de cette sagesse.
SF : Comment les pasteurs et les membres d’église pourraient-ils utiliser la littérature sapientielle dans leurs sermons et dans leurs cam- pagnes d’évangélisation ?
JD : Je crois que cette littérature – que l’on trouve dans le livre des Proverbes, ainsi que dans Ecclésiaste, Cantique des cantiques, et Psaumes (notre volume 6 du SDAIBC) – est la partie biblique la plus proche des esprits, des préoccupations et des situations des gens du monde d’aujourd’hui. Ainsi, lorsque nous apportons le message de sagesse biblique à nos semblables, nous les atteignons là où ils se trouvent. Malheureusement, nous prêchons ou enseignons très rarement à partir de ces livres. C’est peut-être la raison pour laquelle nous n’avons pas eu de succès auprès des personnes sécularisées du monde qui, soit dit en passant, constituent la majorité des gens aujourd’hui.
FP : Dans le volume 6 de la SDAIBC, vous êtes aussi l’auteur du commen- taire sur l’Ecclésiaste. Quelles sont vos attentes et vos pensées concer- nant votre nouveau commentaire ?
JD : J’espère que celui-ci sera une incitation à lire et à découvrir ce livre. Nombre d’adventistes ne le connaissent pas. Et pourtant, c’est l’un des livres les plus adventistes de la Bible ! C’est le seul endroit dans l’AT où l’espérance du jugement eschatologique et la foi en la création sont réunies (Ec 11.9-12.1,6,13), tout comme dans Apocalypse 14, dans « le message des trois anges ». C’est le livre de la Bible qui est le plus expli- cite sur l’état des morts (Ec 3.18-22 ; 8.2-9.10). C’est aussi le livre qui est le plus au diapason de l’esprit postmo- derne des gens de la fin des temps.
FP : Le volume 6 est le premier volume de la série SDAIBC à être sorti. Il porte sur les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des can- tiques – les premiers à être finalisés et réunis en un seul volume. Voyez- vous un intérêt à ce que ces livres soient disponibles en premier et non les autres volumes de la série ?
JD : Le fait que le premier volume de la série de commentaires porte sur les Psaumes, lesquels contiennent les prières de l’ancien Israël, et sur les livres de la sagesse – soit Pro- verbes, Ecclésiaste et Cantiques des cantiques – est providentiel. En ces temps de troubles et de confusion dans le monde, mais aussi dans nos communautés adventistes, nous avons un grand besoin de prière (voir Ellen White, La tragédie des siècles, p. 673-674). Nous avons aussi un grand besoin de discernement – de sagesse pour affronter et endurer les épreuves des derniers jours, mais aussi pour accomplir notre mission et témoigner au monde. Nous avons besoin d’être remplis de sagesse et de prier. Le volume 6, le premier volume du SDAIBC qui devance tous les volumes suivants, correspond très bien aux besoins spirituels et existentiels des gens d’aujourd’hui, aux besoins du peuple du reste, et aux besoins des gens du monde.