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Par Gabriel Monet | Revue adventiste, février 2023

Nous sommes tous appelés à être des disciples de Jésus ! Mais que signifie être un disciple aujourd’hui ?

Au fil des pages des évangiles, ce qu’impliquait à l’époque le fait d’être un disciple de Jésus saute aux yeux : il s’agissait de le suivre, de faire partie de son cercle, de recevoir son enseignement, de se laisser former par lui… Imaginer avoir été appelé par le Christ suscite une forme de ravissement, que cela ait eu lieu au bord d’une plage comme pour Pierre, Jean et leurs frères, à une table en plein travail comme pour Matthieu, ou sous un arbre en train de méditer ou de se reposer comme pour Nathanaël… L’aventure du discipulat semble tangible, exaltante ! Avec un Jésus présent physiquement, que l’on peut chaque jour écouter avec ses oreilles, toucher de ses mains, voir de ses propres yeux, suivre avec ses propres pieds, fussent-ils poussiéreux à force de marcher en sandales à longueur de journées pour suivre ce Maître tellement compatissant envers tous qu’il n’en ménageait pas sa peine, si ce n’est pour s’isoler afin de se ressourcer auprès de son Père du ciel. Être un disciple de Jésus n’était pas de tout repos, ni physiquement ni même spirituellement tant le chemin à la suite du Christ est un chemin de transformation, qui passe par des remises en question pas toujours simples à accueillir. Le Maître est franc et direct ; aimant, mais exigeant. Pas facile donc, mais concret. Maintenant qu’il est ressuscité et monté au ciel, et avec 2000 ans de recul, ce n’est plus la même chose ! Bien sûr, comme Jésus l’a dit, il nous est avantageux qu’il s’en soit allé, car le Saint-Esprit nous fait goûter la présence divine d’une autre manière, accessible à tous, partout et tout le temps… mais notre vocation de disciple de Jésus n’en reste pas moins réelle. Bien sûr, les conseils du Maître de Galilée demeurent dans les pages inspirées et inspirantes de nos Bibles, et son enseignement peut continuer à nous impacter et nous faire saisir les valeurs qu’il a incarnées, mais comment réellement « vivre en disciple »1 aujourd’hui ?

La notion de disciple existait avant Jésus. Dans le monde hellénistique, les sages grecs : Platon, Socrate et bien d’autres… avaient des disciples en ce qu’ils accueillaient un cercle restreint de jeunes qui non seulement profitaient de leurs enseignements, mais qui vivaient avec eux, dans une démarche holistique… On associe souvent la notion de disciple au fait de marcher avec le maître, car il était coutume à l’époque d’enseigner en marchant. Dans le monde juif, le discipulat est aussi une réalité centrée sur l’apprentissage, le dialogue autour des écritures et un vécu basé sur les valeurs. Il n’y a donc rien de très original lorsque le rabbi Jésus s’entoure d’un groupe qu’il va enseigner, former, accompagner… Le mot grec mathetes (disciple) utilisé dans les évangiles est un dérivé du verbe manthano qui signifie « apprendre, s’instruire, recevoir un enseignement ». Finalement, être un disciple consiste à se considérer comme un étudiant ! Toujours en apprentissage… Mais le discipulat est aussi associé à un autre verbe, présent près d’une centaine de fois dans les évangiles (akoloutheo) généralement traduit par « suivre ». Ce verbe est composé de la particule alpha, qui évoque l’union, puis du mot keleuthos, « route ». Être disciple de Jésus et le suivre, c’est faire route avec lui, marche à ses côtés (et pas seulement derrière lui), avec tout ce que cela implique de partage, d’imitation, d’écoute… Être disciple, ce n’est pas d’abord ou seulement un enseignement intellectuel auquel on adhère, ni un comportement auquel on s’astreint, mais premièrement et plus fondamentalement une transformation qui s’opère dans la dimension intérieure de l’être, et partant de là, génère une pensée et un vécu basés sur les valeurs que le Christ a si bien modélisés.

L’apôtre Paul n’emploie pas le mot disciple dans ses épîtres, mais il utilise d’autres manières de parler de la relation de suivance de Jésus qui, en l’occurrence, peuvent nous aider à vivre en disciple. Il insiste sur l’intimité transformatrice dans la relation au Christ si essentielle au discipulat. Il le fait en déployant différentes prépositions… Ainsi, il invite à vivre avec Jésus, en Jésus, comme Jésus, pour Jésus.

VIVRE AVEC JÉSUS

Côtoyer Christ, telle est la vocation du disciple… c’est-à-dire faire chemin avec lui, devenir son compagnon de route et tout partager (compagnon signifie littéralement « partager le pain »). De manière concrète et pratique aujourd’hui, cela signifie de faire vivre la relation avec Jésus, donc le prier, l’écouter, lire et méditer les évangiles, et mettre en œuvre ses conseils… Les textes bibliques sont nombreux qui évoquent ce « avec » Christ. Parmi ceux-ci la réflexion autour de l’iden- tification du croyant avec Jésus par le baptême dans Romains 6.1-10 est très belle. On y trouve trois verbes qui intègrent le préfixe « avec » (sum en grec) ! Et ce sont des mots rares, donc qui doivent attirer l’attention. Nous avons donc été (par le baptême) « ensevelis ensemble » (sunthapto, v. 4) sous-entendu avec Christ. C’est une action passée. Nous « vivrons avec » lui (suzao, v.8). C’est une réalité à venir, espérance marquée par le futur. Et au cœur de ce processus, pour aujourd’hui, nous avons vocation à « devenir un même plante » avec lui (sum- phutos, v. 5). L’idée de se greffer au Christ est magnifique, le verbe encourageant au développement et à la croissance… avec lui donc ! Un disciple vit et grandit avec Jésus !

VIVRE EN JÉSUS

La vie avec Christ est tellement forte et impactante qu’elle ne reste pas quelque chose d’extérieur, et c’est donc pour insister à ce propos qu’on retrouve l’idée encore plus radicale encore de vivre « en » Jésus. Jésus lui-même insiste à ce propos en partageant la métaphore de la vigne. Le Père est le vigneron, nous sommes les sarments invités à rester attachés au cep qu’est le Christ (Jean 15.1-8). On y retrouve de manière récurrente la formule « demeurer en Christ ». Jésus fait le lien entre ce « en lui » et le discipulat : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples » (Jean 8.31, voir aussi Jn 15.8). Paul va dans le même sens en évoquant que ce n’est plus lui qui vit mais Christ qui vit en lui. Vivre en disciple induit une véritable intimité intérieure avec Christ qui impacte nos pensées, nos paroles et nos actes.

VIVRE COMME JÉSUS

Si l’on vit avec Jésus et en Jésus, alors le corolaire sera une vie « comme » lui. Ce thème de la ressemblance du Christ est très fort et cela peut avoir des applications très concrètes. L’apôtre Jean le dit clairement : « Celui qui dit demeurer en lui doit marcher aussi comme lui a marché » (1 Jean 2.6). Et Paul n’est pas en reste dans cette perspective d’imitation : « Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ » (Philippiens 2.5). La célèbre question « Que ferait Jésus à ma place ? » peut nous aider non seulement dans nos choix et nos actions, mais aussi à avoir des sentiments qui tendent vers ceux que le Christ a pu avoir et vers des relations qui sont mues par les valeurs que Jésus a si bien déployées : respect, confiance, bienveillance…

VIVRE POUR JÉSUS

Pour compléter ce triptyque, on peut encore enrichir cette vie de disciple par le désir de vivre « pour » Jésus. Comme le dit Paul, « il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Corinthiens 5.15). Dans l’individua- lisme et le consumérisme ambiant, cette invitation à l’al- truisme est un élément essentiel pour véritablement vivre en disciple. Dès lors, on ne pense pas qu’à soi, mais d’abord à servir le Christ, et l’on sait bien que servir Christ et vivre pour lui, c’est aussi servir « l’un des plus petits » de nos frères et sœurs (Matthieu 25.31-46).

Vivre en disciple, ce n’est pas seulement une discipline chrétienne extérieure, aussi bonne soit-elle, mais c’est une manière, éminemment spirituelle et relationnelle, de vivre avec Jésus, en Jésus, comme Jésus et pour Jésus !


1 Cetteexpression,«vivreendisciple»,esttiréedutrèsbeaulivredeDietrichBonhoeffer, connu en français sous le titre « Le prix de la grâce », dans lequel le théologien allemand explore le Sermon sur la montagne et explique ce que signifie, selon lui, suivre le Christ. Mais le titre français ne reflète pas l’idée maitresse du titre allemand Nachfolge, littéralement « suivance ». La traduction anglaise The cost of discipleship gardait la notion de suivance avec le mot discipleship, souvent plus ou moins adroitement traduit par « discipulat » en français, en insistant sur l’engagement nécessaire du disciple qui a un réel prix… Le titre français ne laissait pas apparaître l’idée centrale de suivance mais introduisait la notion de grâce, certes importante et à accueillir sans négliger l’élan qu’elle peut générer. La dernière édition française du livre (Labor et Fides, 2009) a introduit de manière heureuse un retour à l’original en faisant passer « Le prix de la grâce » en sous-titre et en ajoutant le titre « Vivre en disciple ».