Par Iosif Diaconu | Signs of times
Comment expliquer que des lois attribuées à la révélation biblique se retrouvent dans la législation d’autres peuples anciens ? Comment expliquer les similitudes entre la pensée biblique et la culture antique ? Comment le Dieu biblique est-il comparé aux dieux des autres peuples ?
Les courants philosophiques et religieux duXIXe siècle, soutenus par les découvertes de vestiges antiques, ont contribué à renforcer l’idée que la culture biblique n’a rien de spécial et qu’elle peut s’intégrer parfaitement dans l’espace et le temps dans lesquels elle a été produite.
Le caractère révélé de la Bible était contesté, et la culture biblique était classée comme une particularité de la culture mésopotamienne. En 1902, l’assyriologue allemand Friedrich Delitzsch affirmait que « la littérature de la Bible était dépendante de la littérature de la Mésopotamie, et même empruntée à celle-ci » [1]. On a alors parlé de « pan-babylonisme », un courant qui défendait l’idée que tous les mythes du monde et les Écritures chrétiennes n’étaient que des versions de la mythologie babylonienne. [2]
Un an seulement avant les déclarations de Delitzsch, des archéologues avaient découvert la stèle contenant le Code d’Hammurabi, [3] une découverte qui a alimenté le scepticisme quant à la qualité de révélation de la Bible. Le Code d’Hammurabi est un recueil de 282 lois, dont beaucoup présentent une ressemblance frappante avec les lois mosaïques. La similitude la plus célèbre entre les deux codes est la Lex talionis [4] — c’est-à-dire la loi du châtiment. Voici à quoi ressemble la version babylonienne :
Si un homme détruit l’œil d’un amelu [5] (noble), son œil sera détruit [œil pour œil]. S’il brise l’os d’un noble, son os sera brisé. S’il détruit l’œil d’un mushkenu (homme affranchi), ou s’il brise l’os d’un homme affranchi, il devra payer une mina d’or. S’il détruit l’œil d’un ardu (esclave d’un homme), ou s’il brise l’os d’un esclave d’un homme, il paiera la moitié de sa valeur. Si un homme casse les dents de son égal, ses dents seront cassées [une dent pour une dent]. S’il casse les dents d’un affranchi, il paiera le tiers d’une mina d’or. [6]
Avec le temps, l’élan du réductionnisme biblique s’est estompé, grâce à la fois aux découvertes qui ont confirmé la solidité du patrimoine biblique [7] et à la remise en question des méthodes permettant d’établir les similitudes et les différences entre les textes bibliques et les autres textes anciens.
Même la Lex talionis contient une différence importante, puisque, dans la version babylonienne, elle n’est équitable que pour les personnes de la classe supérieure. Si une personne de rang inférieur était impliquée dans l’événement, un montant était établi que l’auteur devait payer. Au lieu de cela, la législation biblique stipulait : « Tu auras la même loi pour l’étranger et pour le natif. Je suis le Seigneur ton Dieu » (Lévitique 24 h 22).
Analysant la pensée antique, l’orientaliste Henri Frankfort disait des Juifs qu’ils avaient un courage moral infini. Avec les Grecs, qui avaient un courage intellectuel, les Juifs étaient les artisans de l’émancipation de l’homme de la tutelle du mythe. [Ils ont proposé, non pas une théorie spéculative, mais un enseignement révolutionnaire et dynamique. La doctrine d’un Dieu unique, inconditionnel et transcendant rejetait les valeurs traditionnelles, en proclamait de nouvelles et postulait une signification métaphysique pour l’histoire et les actions de l’homme ». [9]
Frankfort nous invite non seulement à une comparaison formelle des œuvres bibliques et antiques, mais aussi à la reconstruction de la vision du monde qu’elles impliquaient et promouvaient. Ainsi, on peut constater que les humains bibliques jouissaient d’une certaine sécurité et prévisibilité quant au développement de la vie, car ils pouvaient compter sur le caractère juste et constant de Dieu, celui-ci n’étant pas soumis à des caprices, comme l’étaient les dieux des autres peuples.
Les anciens humains païens avaient une petite marge d’erreur car leur destin était déterminé par les dieux. Ils ne faisaient que vivre ce qui leur était prescrit. Ils ne pouvaient pas s’égarer car ils étaient toujours récupérés et ramenés à leur condition d’êtres marginaux de l’univers par les grands rythmes cosmiques dirigés par les dieux et réitérés par les fêtes et les rituels annuels. La condition humaine était inexorablement liée à la résignation.
En revanche, pour les Juifs, la Bible propose une liberté et une responsabilité uniques dans le paysage culturel antique. « Le concept biblique de l’image divine dans l’homme constitue donc une autre rupture révolutionnaire avec son monde contemporain. L’homme n’est plus une créature de forces aveugles, impuissante à la merci des rythmes et des cycles inexorables de la nature. Au contraire, il est désormais un être doté de dignité, de finalité, de liberté et d’un pouvoir immense ». [10]
Par conséquent, la liberté et la responsabilité bibliques placent l’homme dans un état permanent d’alerte, de vigilance, car son destin n’est pas donné mais doit être construit. Toute décision comporte des limites, des conditions et, surtout, des conséquences.
Confrontés aux dures réalités de la vie, les anciens ont dû se résigner à leur destin prescrit. Dans ce contexte, les Babyloniens ont développé un vaste système de prédiction de la volonté des dieux et ont utilisé la magie pour tenter d’influencer ces volontés supérieures dont dépendait le destin des hommes.
Cependant, si pour l’humain antique la solution aux vicissitudes était de nature magique, pour l’humain biblique la solution est de nature morale. « Ce n’est pas la magie, proclame-t-elle [la Bible], mais l’action humaine qui est la clé d’une vie pleine de sens ». [L’homme biblique n’a jamais eu à se tourner vers autre chose que sa propre volonté pour déterminer son avenir. La solution morale des Juifs consistait à choisir le bien plutôt que le mal, et ainsi leur destin prenait la tournure souhaitée.
En conclusion, un examen attentif des similitudes et des différences entre la Bible et la littérature ancienne nous montre que, si les textes mésopotamiens présentent des similitudes formelles, ils véhiculent une vision du monde différente de celle que nous trouvons chez les peuples qui entourent Israël. La Bible propose un Dieu juste et aimant et un homme libre et digne.
Ces caractéristiques peuvent être observées non seulement dans l’image générale de la conception biblique, mais aussi dans les dispositions sociales et civiles par lesquelles toute personne, quel que soit son statut social, est traitée avec dignité. Le fait que la pensée biblique n’ait pas d’équivalent dans la culture des autres peuples anciens nous amène à la conclusion que ce n’est que par l’action révélatrice de Dieu qu’un tel phénomène religieux, culturel et social a pu se manifester dans l’histoire.
Iosif Diaconu estime que l’étude de la Bible est fascinante, d’abord pour ce qu’elle nous apprend et, ensuite, parce qu’elle nous aide à renoncer à ce que nous croyons à tort sur la Bible, ses auteurs et ses sujets.