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Quelle a été la place du végétarisme dans la pensée d’Ellen White et comment a-t-elle essayé de mettre en pratique ses convictions dans sa propre vie. 1

L’évolution historique du message sur la santé

Dans les premières années qui suivirent la grande déception de 1844, l’attention se porta surtout sur l’interprétation de la prophétie, le proche retour de Jésus, le sanctuaire, le sabbat, etc. Le message sur la santé est resté pratiquement ignoré.

Aux États-Unis, en dehors de l’Église adventiste, il existait un mouvement de réforme de la santé, qui soutenait le végétarisme. Cependant, parmi les premiers adventistes, on ne trouvait que peu de personnes qui rejetaient la viande de porc dont la consommation ne correspondait pas à la volonté de Dieu (famille Haskell), ou qui étaient végétariens (Joseph Bates déjà avant 1844). En général, les croyants adventistes considéraient que le message sur la santé n’avait pas beaucoup d’importance. Encore en 1854, James White ne voyait aucune interdiction de la consommation de viande de porc dans le Nouveau Testament et estimait que cette question secondaire ne faisait en fait que détourner l’attention de choses plus essentielles (RH 23.5.1854).

En 1858, la famille pionnière Haskell a tenté d’attirer l’attention sur la distinction entre animaux purs et impurs (Lévitique 11). Ellen White a réagi en écrivant que cette question ne devait pas être érigée en “test” et en laissant ouverte la question de savoir si Dieu voulait vraiment que son peuple renonce totalement à la viande de porc (Testimonies, vol. 1, p. 206).

Ce n’est que grâce à la vision d’Ellen White du 6 juin 1863 que le message sur la santé est entré dans la conscience des premiers adventistes. Par cette vision Dieu a fait comprendre entre autres que la consommation de viande ne correspondait pas à sa volonté. Ellen White écrivit à ce sujet : « J’ai immédiatement changé mon menu » (Conseils sur la nutrition et les aliments p.585, ci-après indiqué par CN ), même si elle précisa que cela ne signifiait pas qu’elle renonçait désormais totalement à la viande. Le 25 décembre 1865, elle eut une autre vision dans laquelle une fois de plus l’importance du message de santé était soulignée.

Déclarations d’Ellen White contre la consommation de viande

Dans ses écrits, Ellen White conseille vivement de suivre un régime végétarien. Selon elle, «    la consommation de viande affaiblit les facultés physiques, mentales et morales » (CN 317), la viande raccourcit la durée de la vie (CN 446), diminue les facultés intellectuelles (CN 465), elle « obnubile une perception aiguë et la vigueur de la pensée en ce qui concerne la notion de Dieu et de la vérité, et la connaissance de soi » (CN 458), détériore les forces morales (CN 456) et crée un appétit pour l’alcool (CN 317).

Elle décrivait l’alimentation végétarienne idéale de la manière suivante : « Les fruits, les céréales et les légumes, préparés de façon simple, sans épices ni graisses d’aucune sorte, forment avec le lait ou la crème (crème fraîche) l’alimentation la plus saine. » (CN 423) Elle recommandait les aliments issus du règne végétal :   « Notre régime devrait être composé de légumes, de fruits et de céréales » (CN 454).   Les noix figuraient également dans certaines listes d’aliments recommandés, mais elle mettait en garde contre le fait de leur donner une part trop importante dans le régime (voir  Le ministère de la guérison  p. 250-253).

Ellen White au sujet les produits laitiers et les œufs

Bien qu’Ellen White ait recommandé des aliments d’origine végétale, elle a en même temps mis en garde contre les risques d’une absence totale de produits d’origine animale : « D’aucuns, en s’abstenant de lait, d’œufs et de beurre, ont négligé d’assurer à leur organisme une nourriture suffisante. Ils se sont affaiblis au point de ne plus pouvoir travailler, et ils ont ‘été le discrédit sur la réforme sanitaire » (CN 245).  Lorsque nous lisons cette déclaration, nous pensons évidemment à la vitamine B12, qui se trouve sous sa forme efficace dans le lait et les œufs, mais est absente dans les aliments végétaux. Il se peut que le conseil donné soit basé sur cette réalité.

Bien qu’Ellen White ait présenté avec insistance une alimentation végétale comme idéale, elle n’a jamais qualifié le lait et les œufs de nocif en soi, et ne les a pas mis sur le même plan que la viande (voir CN 418). Elle a toutefois mis en garde contre une époque future où les maladies du règne animal pourraient rendre ces produits provenant d’animaux peu sûrs pour l’alimentation : « Le temps viendra où nous pourrons avoir à supprimer certains des aliments que nous utilisons maintenant, comme le lait, la crème et les œufs ; mais je vous demande de ne pas vous placer dans cette époque de troubles avant l’heure, et de ne pas vous affliger à mort » (CN 242). Son point de vue semble mettre le renoncement au lait et aux œufs en rapport à une période difficile à venir, qu’il ne faut pas précipiter. A la question de savoir quand viendrait le moment de renoncer complètement à ces produits, elle a écrit : « Dieu le révélera » (CN 243). Ellen White pense cependant qu’en vue de ce temps futur, il faut apprendre dès maintenant à cuisiner sans ces aliments (CN 415).

En 1901, Ellen White a recommandé au médecin adventiste Dr. D. H. Kress, qui suivait un régime strictement végétalien mais luttait contre des problèmes de santé, de consommer également des œufs de poules saines (Lettre 37, 1901).

Mon opinion personnelle est que ces déclarations ne permettent pas encore de trancher définitivement la question de savoir si un régime végétarien ou végétalien constitue un meilleur choix. Nous pouvons toutefois supposer qu’Ellen White ne porterait pas un jugement positif sur l’élevage et la production laitière de nos jours. En plus, si aujourd’hui quelqu’un souhaite adopter une alimentation végétalienne, il peut  facilement combler son besoin en  vitamine B12 sous forme de  complément alimentaire ou autre produit.

L’approche prudente d’Ellen White

Pour certains lecteurs, les déclarations souvent très directes d’Ellen White peuvent sembler assez radicales. Mais elle savait aussi que tout le monde ne pouvait pas appliquer ses conseils immédiatement, ce qui dépendait bien sûr aussi des circonstances de leur vie. Elle était consciente que le chemin vers le végétarisme pouvait aussi prendre plus de temps chez certains : « Parmi ceux qui attendent le retour du Seigneur, l’usage de la viande sera délaissé ; la viande cessera de faire partie de leur régime » (CN 454). Aux réformateurs de la santé elle écrit : « Vous ne devez pas prescrire une abstention totale et définitive de viande, mais vous devez éduquer l’esprit et permettre à la lumière d’y briller.  Eveillez la conscience individuelle de chacun… » (CN 344), – telle était la conviction d’Ellen White. En ce qui concerne le passage à une alimentation végétale, elle recommandait : « Lorsque l’on passe de l’alimentation carnée au régime végétarien, il faut prendre soin de mettre sur la table des plats préparés et cuisinés avec sagesse »  (CN 127,128). Elle était également consciente que ce chemin devait être parcouru « patiemment et progressivement » (Testimonies vol 3, p.  20-21).

Ellen White a systématiquement défendu l’idée que le régime végétarien, bien qu’étant clairement un « enseignement » de l’Église, ne devait pas être un « test » pour devenir membre de l’Église adventiste du septième jour (voir Témoignages vol 3, p. 428). Elle a présenté le régime végétarien comme faisant partie d’un message de santé plus vaste. Elle a souvent parlé de ce message comme du « bras droit » du message des trois  anges d’Apocalypse 14.

Bien qu’Ellen White ait défendu le régime végétarien, elle n’a pas insisté sur le fait que tout le monde devrait se nourrir de cette manière. Compte tenu de la responsabilité du chrétien de prendre soin de sa santé, tant pour des raisons spirituelles que physiques, elle enseignait qu’il fallait choisir la meilleure alimentation disponible : « Nous n’avons pas de régime précis à prescrire. Mais nous disons que dans les pays où abondent les fruits et les céréales, la viande n’est pas l’aliment qui convient au peuple de Dieu » (Témoignages vol 3, p. 427). Si l’on considère qu’à l’époque d’Ellen White, en hiver il était presque impossible de se procurer des fruits et légumes frais,  on peut tout à fait qualifier son attitude d’équilibrée. Cela se voit également dans une recommandation aux représentants évangélistes, où elle écrit : « Chaque représentant évangéliste, devrait éviter de manger de la viande – non pas parce que ce serait un péché d’en manger, mais parce que ce n’est pas sain » (Manuscrit 15, 1889).

L’application personnelle du végétarisme par Ellen White

Les détracteurs d’Ellen White ont parfois prétendu que, bien qu’elle ait officiellement prôné le végétarisme, en réalité elle continuait à manger de la viande en secret. Ces accusations sont bien entendu inexactes.  Ellen White a renoncé à la viande à partir de la vision de 1863. En 1870, elle a écrit qu’aucune « viande, sous quelque forme que ce soit, ne sera mise sur ma table » (Testimonies vol. 2, p. 487). C’était en tout cas sa façon habituelle de procéder, mais un écart occasionnel par rapport à son régime végétarien pouvait se produire pour diverses raisons, par exemple lorsqu’une nouveau cuisinière ne savait pas comment préparer des plats végétariens. Parfois, la viande était consommée en raison des contraintes de voyage et en l’absence d’alternatives. Parfois en raison du manque d’argent, de la dépendance des membres de l’église, souvent pauvres, qui consommaient de la viande par nécessité, ou lorsque les fruits et légumes n’étaient tout simplement pas disponibles en raison de la saison.

Ellen White a également admis qu’elle avait mangé beaucoup de viande dans sa jeunesse. A l’époque, en tant que jeune adulte, elle était faible et pensait, comme elle l’écrivit plus tard, qu’une consommation excessive de viande lui redonnerait des forces, mais elle n’y parvenait pas (CN 584, 585).

Plus tard encore, cet appétit pour la viande s’est manifesté en elle. Elle le décrivait ainsi : « Je souffrais d’une forte fringale. J’étais une grande mangeuse de viande. Mais alors que j’étais sur le point de faiblir, j’ai mis mes bras sur mon ventre et j’ai dit : « Je ne goûterai pas un morceau. Je mangerai des aliments simples, ou je ne mangerai pas du tout. … Quand j’ai fait ces changements, j’ai dû mener un combat très difficile » (Testimonies vol. 2, p. 371). Néanmoins, en 1890, elle admettait, à propos de ses voyages : « J’ai quelquefois mangé de la viande quand je ne trouvais pas la nourriture dont j’avais besoin; mais j’en ai de plus en plus peur » (Tempérance chrétienne, édition 1900, p. 181).

En 1894, une personne catholique s’approcha d’Ellen White et attira son attention sur la cruauté avec laquelle les animaux étaient abattus pour satisfaire les désirs des hommes. Un peu plus tard, Ellen White décrivit ainsi ses sentiments : « J’étais honteuse et oppressée. Maintenant, je voyais tout sous un nouveau jour et je décidais de ne plus soutenir les bouchers. Je ne voulais plus de viande de cadavres dans mon assiette » (Lettre 73a, 1896).

Bien qu’à d’autres endroits encore Ellen White ait souligné les avantages d’un régime végétarien pour la santé, ce sont des considérations éthiques et l’amour des animaux qui l’ont aidée à prendre la décision finale de renoncer complètement à la viande.

La même année 1894, en réponse à une question posée par une non-adventiste, Ellen White a écrit de manière plutôt optimiste au sujet des adventistes du septième jour : « Tous sont végétariens, beaucoup renoncent complètement à la nourriture carnée, tandis que d’autres n’en consomment qu’une petite quantité » (lettre 99, 1894). Cela constitue évidemment une définition intéressante du végétarisme. Pour Ellen White, un végétarien était évidemment quelqu’un qui n’avait pas l’habitude de manger de la viande, mais qui pouvait occasionnellement faire une exception. Pour elle-même, elle appliquait un critère plus strict et pouvait confirmer en 1908 qu’elle n’avait pas mangé de viande depuis de nombreuses années (lettre 50, 1908).2  

Un fois le fils d’Ellen White, Willie White, a décrit sa mère comme étant « conséquente, mais pas fanatique ».

Au fil du temps, on a parfois reproché à Ellen White d’avoir été incohérente, voire hypocrite, dans sa pratique du végétarisme. Une compréhension de sa conception du végétarisme, des conditions de vie de l’époque et de son propre parcours permet un jugement plus bienveillant. En 1909, elle exprime sa propre opinion sur ces accusations : « Certains prétendent que je n’ai pas suivi les principes de la réforme tels que je les avais défendus par la plume. Mais je puis affirmer que je m’y suis toujours conformée fidèlement. Les membres de ma famille peuvent en témoigner » (Témoignages vol 3, p 427).

Résumé

Les thèmes de la santé et plus particulièrement de l’alimentation étaient très importants pour Ellen White. Ses conseils de ne pas manger de viande sont aujourd’hui confirmés et soutenus par la science. Nous devrions suivre ses recommandations. Néanmoins, la remarque suivante s’applique :

« Il y a beaucoup de bon sens dans la réforme alimentaire.  Etudions ce sujet à fond.  Et d’abord, nul ne doit se permettre de critiquer ceux dont la manière de faire n’est pas en tous points en harmonie avec la sienne.  On ne peut établir une règle invariable pour chacun, et personne n’a le droit de se croire le critère auquel les autres doivent se conformer.  Tous ne peuvent manger les mêmes mets; des aliments sains et appétissants pour certains sont désagréables et même nuisibles pour d’autres » (Ministère de la guérison, p. 269).

Ne faisons donc pas de la nourriture une religion. Mais essayons en même temps de nous rapprocher toujours plus de l’idéal d’une alimentation saine et végétarienne.


Johannes Kovar, Diplôme d’Etudes Supérieures en Théologie.

Professeur au « Seminar Schloss » de Bogenhofen, en Autriche. Il y dirige également le Centre de recherche Ellen White en langue allemande.

Voir le texte original en allemand sur www.ellenwhite.de


Notes de l’auteur :

1 Dans cet article, j’emprunte de très nombreuses idées aux sources suivantes, sans toujours les citer : Sylvia M. Fagal et Roger W. Coon, “Vegetarianism“, dans : Denis Fortin et Jerry Moon (éd.), The Ellen G. White Encyclopedia, Review and Herald, 2013, 1246-1248 ; Theodore Levterov, “Ellen White and Vegetarianism” dans : Merlin D. Burt (éd.), Understanding Ellen White, Pacific Press, 2015, 199-212.

2 Ellen White mentionne toutefois qu’elle mangeait encore occasionnellement du poisson (lettre 128, 1896). De toute évidence, elle faisait une différence entre la viande rouge et le poisson.


Note du traducteur :

Conseils sur la nutrition et les aliments, éditions Le monde Français, Mountain View, California, 1972.

Le ministère de la guérison, aux mêmes éditions ,1977.

Témoignages pour l’église, trois volumes, éditions S.D.T. Dammarie-les-Lys, France,1956.

Tempérance chrétienne,  éditions Librairie polyglotte,  1900.

Testimonies for the Church, neuf volumes, Pacific Press Publishing Association, Mountain View, California, 1948.

Tous ces ouvrages peuvent être consultés sur le site EGW multilingue : www.egwwritings.org