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Par Florin Bică | Signes of Times

Des milliers de noms de rues changés parce qu’ils faisaient référence à de saints chrétiens, des prêtres catholiques forcés de se marier, Jésus-Christ décrit comme un révolutionnaire — voilà quelques-uns des détails stupéfiants de la Révolution française.

L’attaque contre l’autorité de l’Église catholique et, surtout, l’attaque de l’État français contre la religion chrétienne — un événement sans précédent depuis l’époque de l’Empire romain — a fait de la Révolution française (1789-1799) l’un des moments majeurs de l’histoire du christianisme. Il va sans dire que les principales causes de la révolution n’étaient pas de nature religieuse.

En 1789, la France est au bord de la faillite à cause de son implication dans la Révolution américaine, mais aussi à cause d’un leadership déficient qui favorise l’opulence des classes sociales supérieures. Ce qui avait commencé comme un mouvement de réforme politique et sociale, la Révolution a rapidement connu une mutation, passant d’une attitude anticléricale à une politique antichrétienne, au point qu’il semblait que la religion du Christ avait atteint le bord de sa propre tombe.

Fille du siècle des Lumières

La Révolution française a été appelée par les historiens « la fille des Lumières ». Des penseurs tels que Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Montesquieu et Diderot ont été parmi ceux qui ont anticipé le mouvement révolutionnaire par une critique sévère de l’ordre social, d’un régime désuet fondé sur des normes et des hiérarchies qui ne correspondaient plus à l’esprit du temps.

Étant donné que l’Ancien Régime signifiait une forte alliance entre l’Église et la monarchie, il n’est pas surprenant que les attaques des philosophes des Lumières aient également visé l’Église dans une large mesure. Rousseau, par exemple, accusait les chrétiens d’hypocrisie, arguant qu’après avoir pris le pouvoir dans l’Empire romain, ils avaient abandonné le discours du Royaume spirituel (à venir) pour établir « le plus violent despotisme de ce monde » [1].

Bien sûr, il ne manquait pas d’arguments. L’histoire de France offrait des exemples de guerres de religion et d’événements sanglants comme le « massacre de la Saint-Barthélemy. » « En général, l’anticléricalisme constituait un ingrédient majeur de la pensée des Lumières » [2], écrit E. J. Wilson. Et non seulement l’Église, mais aussi la Bible étaient critiquées, Voltaire étant la voix la plus forte qui « combattait la Bible, l’attaquait, la ridiculisait » [3].

L’anticléricalisme des Lumières se justifie même par le système ecclésiastique français. Le clergé catholique domine le paysage religieux de l’époque, bénéficiant de nombreux avantages économiques ainsi que d’une influence politique. En 1789, tous les évêques catholiques sont issus de familles aristocratiques et ne vivent même pas dans leurs diocèses, qui sont dirigés par des représentants.

Les inégalités imposées par la hiérarchie ecclésiastique provoquent le mécontentement du bas clergé, qui accuse ses supérieurs de s’accaparer une grande partie des revenus de l’Église. Il n’est pas surprenant que, dans le tumulte de la révolution, de nombreux membres du bas clergé aient rejoint les révolutionnaires, car ils souhaitaient une Église plus démocratique, dans laquelle l’accès aux postes hiérarchiques supérieurs dépendait de l’engagement, du travail et du talent, et non d’« accidents » tels que la naissance dans une famille noble.

« French Cancan » à Notre-Dame

Pendant les années de la révolution, l’Église catholique reçoit une série de coups durs, comparables en force à ceux de la Réforme protestante. En novembre 1789, l’Assemblée nationale confisque ses biens, qui sont vendus aux paysans, à la bourgeoisie et même à certains nobles.

Au début de l’année suivante, les monastères sont supprimés et quelques mois plus tard est promulguée la « Constitution civile du clergé », qui réduit le nombre d’évêques. Le document stipule également que les évêques et les prêtres seront élus par les citoyens français, tout comme les fonctionnaires. Le Pape n’a plus qu’à reconnaître le choix de la nation. Un coup dur pour l’autorité pontificale !

De plus, les clercs doivent jurer fidélité à l’État français. D’autres mesures suivent, ahurissantes pour l’époque : les processions religieuses sont interdites, les crucifix sont retirés des églises, les prêtres ont le droit de se marier (certains y sont même contraints). Un nouveau calendrier est même institué, selon lequel la « semaine » compte 10 jours. Adopté en 1793, ce calendrier fut conservé jusqu’en 1804. Le dimanche est ainsi supprimé comme jour de repos, et les fêtes dédiées aux saints catholiques sont remplacées par des jours dédiés aux patriotes ou aux martyrs de la révolution.

Les années de la révolution, mais surtout la période connue sous le nom de « Règne de la Terreur » (de l’automne 1793 à l’été 1794), ont été marquées par de sérieux efforts de déchristianisation de la France. Certains des chefs révolutionnaires voulaient remplacer les « superstitions » chrétiennes par un nouveau culte religieux, consacré à la Raison.

La trinité chrétienne a été remplacée par la « trinité » révolutionnaire : Liberté, Égalité, et Fraternité. Dans un spectacle burlesque, la cathédrale Notre-Dame de Paris est transformée en temple de la Raison, tandis qu’une jeune actrice est couronnée et acclamée comme la déesse de la Raison. Des milliers d’autres églises de province deviendront bientôt des temples similaires.

Bien sûr, il y a aussi un courant contre le processus de déchristianisation, qui se manifeste en ignorant le nouveau calendrier, en restant indifférent au culte des héros de la nation et en participant aux rituels traditionnels de l’Église. Mais le ton général est celui du dénigrement du christianisme.

Les révolutions passent, le christianisme reste…

Une fois le règne de la Terreur terminé, la déchristianisation de la France a perdu en intensité, même si le christianisme était toujours considéré comme une religion au potentiel subversif. Pourtant, les choses ont commencé à changer pour le mieux, non seulement en France, mais aussi dans d’autres pays européens. Si dans ses premières années, la Révolution française avait bénéficié d’une perception positive parmi les nations européennes, avec les horreurs du règne de la Terreur, la perception a changé. Les craintes créées par la direction inattendue de la Révolution ont inspiré et encouragé les réveils religieux en France et en Europe.

Le mouvement des écoles du dimanche en Angleterre a pris de l’ampleur à mesure que les laïcs s’intéressaient à l’étude de la Bible et des doctrines chrétiennes. Ainsi, alors qu’en 1788, les écoles du dimanche anglaises comptaient environ 60 000 participants, en 1811, leur nombre atteignait 415 000. La fin du XVIIIe siècle est également marquée par la création des premières sociétés missionnaires anglaises : la Baptist Missionary Society (1792), la London Missionary Society (1795) et la Church Missionary Society (1799).

Des réveils religieux ont lieu au cœur des communautés piétistes d’Allemagne, pour qui les événements de France sont le fruit des fausses philosophies des Lumières. Les pays scandinaves connaissent également des réveils spirituels, les chrétiens y font du porte-à-porte pour étudier la Bible avec les personnes intéressées. C’est également à cette époque qu’apparaissent les sociétés bibliques : la British Bible Society (1804), la German Bible Society (1804), la Prussian Bible Society (1805), etc.

Paradoxalement, l’antichristianisme des révolutionnaires français a également donné naissance à un intérêt pour les prophéties de la Bible (notamment celles de Daniel et de l’Apocalypse), la période de la Révolution et de l’empire napoléonien étant connue pour son appétit pour le millénarisme. Nombreux furent ceux qui établirent un lien entre les événements survenus en France et les prophéties bibliques concernant le retour du Christ.

Après une fin de siècle cauchemardesque, l’Europe est entrée dans un nouveau siècle, connu comme le grand siècle chrétien des réveils religieux et de l’expansion de la religion chrétienne au-delà des frontières européennes.

« Les réveils chrétiens entre 1790 et 1815, avec leur croyance en une intervention divine dans les affaires humaines, leur accent sur la foi et la dévotion personnelles, et leurs appels à l’activisme social, ont beaucoup fait non seulement pour préserver le christianisme européen contre l’assaut sans précédent de la Révolution française, mais aussi pour le renforcer pour les défis et les opportunités du XIXe siècle » [4], écrit Stewart Brown.

Les hommes et les femmes chrétiens considéraient à nouveau avec confiance le christianisme comme une force capable de régénérer l’esprit européen et de lui donner le sens qu’il n’avait pas trouvé dans une société où la raison humaine voulait monter sur le trône de Dieu.

Florin Bică est un auteur de livres pour enfants, écrivant à la fois de la fiction et de la non-fiction pour ce public exigeant.

Références :

[1] »Jean-Jacques Rousseau, Le contrat social, CreateSpace Independent Publishing Platform, p. 118.”
[2] »Ellen Judy Wilson, Encyclopédie des Lumières, New York, Facts on File, Inc., 2004, p. 20.”
[3] »Graham Gargett, “Voltaire et la Bible” dans The Cambridge Companion to Voltaire (Nicholas Cronk-edit.), Cambridge University Press, 2009, p. 202.”
[4] »Stewart J. Brown, “Movements of Christian Awakening in revolutionary Europe, 1790–1815” dans The Cambridge History of Christianity, vol. 7 (Stewart J. Brown et Timothy Tackett-edit.), Cambridge University Press, 2006, p. 594.”